En escalade, le vertical s’attaque du bas, et l’on grimpe vers le sommet. Du bas vers le haut les sensations varient, le plaisir se décline selon une palette nuancée : curiosité, surprise, concentration, histoire de ne pas perdre le fil, et en point de mire les derniers mètres, pas forcément les plus durs mais ceux d’où l’on domine plus sereinement le chemin parcouru.
En dégustation, une verticale part du vin le plus jeune pour remonter le temps, vers le vin le plus vieux. J’adore. Faute de ne plus grimper (des falaises), je descends des nectars. En l’occurrence des vins doux naturels de la cave coopérative de l’Étoile, à Banyuls.
L’Étoile, la cave qui monte
J’avais eu le privilège l’année dernière d’être invité à déguster les millésimes en 8. Cette année, même privilège, pour les années en 7.

La cavec, bèche de forme triangulaire, outil emblématique du vignoble de Banyuls, présenté par Jean Pierre Centène, le président de l’Étoile, sous l’œil attentif, et prudent, du directeur Bruno Cazes.
En préambule, le président de la cave de l’Étoile, Jean Pierre Centène, nous a retracé l’histoire de l’Etoile, la plus vieille cave de Banyuls (1921, les premiers bâtiments datent de 1904) et l’une des plus petites de France (2500 à 3000 hectolitres produits chaque année). En France, la moyenne d’âge des vignes est de 22 ans. En Roussillon, elle est de 32 ans. Les vignes de l’Etoile sont centenaires…
L’ADN de la cave, ce sont les vins doux naturels. Son socle, les grands crus et les vieux millésimes. Depuis des générations, la cave conserve chaque année quelques hectolitres des jus produits (1 hectolitre = 100 litres), essentiellement à partir de Grenache. Jus précieusement élevés dans des contenants en bois, tradition qui n’a jamais cessé et qui perdure aujourd’hui.
Et il y a quelques années, la cave a engagé un recensement précis de ses trésors, sous la férule d’une œnologue maison. Une mise en bouteille unique de chaque millésime a eu lieu en 2015. La collection des millésimes va de 1945 à 1989 (il manque je crois l’année 1959). En 2018, l’Étoile a été retenue coopérative de l’année par la Revue du Vin de France. Les vieux millésimes de la cave « méritent d’être reconnus parmi les plus grands de France et du monde », dixit le journaliste Pierre Citerne.
Non contente de produire d’excellents vins, doux mais aussi secs (AOP Collioure), la cave de l’Étoile est fortement engagée dans la protection et le maintien du vignoble de la Côte Vermeille, unique en son genre.
Bon, et la dégustation, on la descend ?
Remonter le temps, c’est déguster des vins de plus en plus concentrés et puissants, de plus en plus sucrés et de plus en plus forts en alcool. Logique, puisqu’une partie du vin s’évapore au fil des ans. Mais l’incroyable, ce qui fait entre autre la magie de ces vins, c’est que la fraicheur est toujours présente, même sur les plus vieux millésimes, et elle gomme ce qui pourraient sinon être sources de lourdeurs rédhibitoires. Les longueurs en bouche s’allongent, s’allongent… Les notes de noix, de moka, d’épices s’épanouissent, nouissent…
Commentaires éthylico-dégustatifs
Le 2007 est un Macéré tuilé qui revendique 70 % de Grenache noir, 20% de Grenache gris et 10% de Carignan noir. Après une fermentation dans les cuves de la cave, la fermentation a été classiquement stoppée par mutage (ajout d’alcool), mais la macération a duré ensuite trois semaines (ce qui est très long), afin d’extraire le maximum de matière tannique et des arômes de fruits mûrs. Après une première année d’affinage en cuve, le vin a bullé 7 ans dans les fameux grands foudres centenaires en chêne de la cave. Les arômes de vieillissement sont encore discrets et l’on reste sur les fruits confits, les vieux pruneaux. Je déguste et très professionnellement je crache.
Avec le 1997, lui aussi un Macéré tuilé, les arômes sont encore sur le fruit, mais la matière tannique se patine, le vin gagne en rondeur. En 1987, le signe du temps se repère à la couleur, avec des reflets jaunes, et un nez plus intense. La teneur en sucre est de 90 grammes par litre, et le degré d’alcool de 18°… A ce stade, j’arrête de cracher… Je bois. Le vin est dorénavant un assemblage de plusieurs cuvées. Le 1977 est un peu plus crémeux, les notes d’épices et de vanille font leur apparition. 114 g/l et 19°. Je me cale sur mes deux jambes. Le 1967 : à son âge, ce vin a perdu de 20 à 30 % de son volume initial, le pauvre. Mais c’est pour mieux nous enivrer le fourbe. Je tiens bon. 1957, le passage du temps coule dans nos verres et il s’agit de ne pas en perdre une goutte. Moi qui déteste vieillir, je trouve ça très bien pour ces vins.
1947, je pense bien sûr à l’élection de Vincent Auriol et aux débuts de la IVe République (je plaisante Charles… ; non, lui c’est plus tard). Non, je déguste sur un chocolat, je médite l’info : 150 g/l, 22,5°… Je cherche le curry dont parle l’œnologue. La longueur en bouche est incroyable, mais je constate que mon verre s’est vidé à une allure anormale. Je garde le bras un peu tendu, au cas où Cathy repasserait près de moi avec la bouteille… 70 ans, ça nous cloue le gosier et on en redemande.
Je blague évidemment, je suis sorti parfaitement serein de cette merveilleuse dégustation. Vivement l’année prochaine.
A bientôt pour la suite de cette chronique sur les dégustations, avec « L’horizontalité aussi nous fait chavirer ».