Où l’on retrouve l’éloquence de Jess pour parler des vins d’ici
Je vous l’ai déjà indiqué, lorsque l’on pénètre dans la caverne d’Ali Baba du caviste Vincoeur Catalans (Elne, Pyrénées-Orientales), on vous accueille avec un verre de vin. Dès mon arrivée, Jess me fait déguster deux Rivesaltes ambrés. Avant de m’entraîner vers Maury puis à Saint-Laurent-de-la-Salanque.
« On commence doux et on finit frais »
Pour commencer donc, Jess tient à me faire découvrir un Rivesaltes ambré de 10 ans d’âge, de la cave Arnaud de Villeneuve (Rivesaltes). En matière de vins doux naturels, il m’explique que nombre de ses clients, tout particulièrement les touristes, sont un peu perdus dans les nombreuses appellations, au point de parler parfois de « Muscat ambré ». Un peu de pédagogie s’impose alors de la part du caviste…
Ce que Jess apprécie avec ce 10 ans d’âge, cépages blancs (Macabeu, Grenache blanc, Grenache gris) avec un élevage en barrique, « C’est la gestion du sucre. On commence sur la douceur, avec un petit côté abricot séché, une touche de noix fraiche en arrière plan, et on finit sur une bouche très fraiche et désaltérante. Traditionnellement, les Rivesaltes ambrés sont plus denses, plus concentrés, plus sur des notes caramel. Avec cette bouteille, on est dans l’air du temps : la perception du sucre, gustativement parlant, est moindre. Pas de bouche surchargée et empâtée par le sucre. En terminant sur la fraicheur, on a envie d’y retourner ». Je confirme. « Produit impeccable, à 13,50 € ! ».
« Ici, le vin n’a pas toujours été bon. Mais les vins doux l’ont toujours été »
La cave Arnaud de Villeneuve possède beaucoup de vieux millésimes, dont Vincoeur Catalans propose une large gamme. A des prix incroyables. Jess me fait goûter le grand frère du vin précédent, le 20 ans d’âge. « La même griffe, avec ce côté élégant, tout en finesse. L’abricot sec est plus marqué et l’on a gagné en complexité et en densité. Mais la buvabilité est toujours là, l’alcool est bien maîtrisé. On a envie de replonger le nez dedans ! ». Je confirme toujours. Et le prix est toujours aussi doux : 19,50 €.
Mais Jess se lamente : « Dans de bons restaurants qui font d’excellentes pâtisseries maison, on vous propose un café pour les accompagner ! Alors qu’un produit comme celui-ci sublime la pâtisserie. De tels vins devraient être compris dans le prix du dessert ! ». Amis restaurateurs, veuillez prendre note.
Et de conclure, « Ici, le vin n’a pas toujours été bon. Mais les vins doux l’ont toujours été ». Il faut le faire savoir, encore et encore, ce qui nécessite pour ces cavistes convaincus de proposer ces vins à la dégustation. Et en général, ça marche.
« La barrique canalise l’exubérance de ces terroirs très chauds »
En évoquant les récentes soirées sur le thème des accords vins doux naturels et fromages organisées par la Coordination des cavistes catalans, Jess se dirige vers la cuvée Regain, du Domaine Semper. « Car les vins blancs, ça marche aussi très bien avec le fromage ».
Jess m’explique que les vignes du domaine sont situées sur les communes de Maury et de Lesquerde (« très beaux rouges, liés au sol granitique et à la fraicheur naturelle »). Rappelez-vous, Alain – Aux Vents d’Ange – nous en a parlé il y a peu, pour nous présenter la cuvée Squerda. Sébastien également – La Part des Anges – qui avait retenu cet été la cuvée Clos Florent. Avec cette cuvée Regain, on est à Maury (marnes schisteuses noires). Le Grenache gris domine (75%), que viennent compléter le Maccabeu, le Carignan blanc (rare !) et le Grenache blanc.
« Avec un élevage en barrique très bien maîtrisé. Le vigneron veut garder fraicheur et minéralité, éviter un vin trop gras. Ici, la barrique canalise l’exubérance de ces terroirs très chauds pour arrondir, peaufiner l’expression des grenaches et autres cépages ».
« Ce qui donne ces petites notes légèrement toastées, grillées, qui apportent ce côté fumé ». Il est midi passé, la faim pointe son nez mais Jess enfonce le clou. « Un blanc de repas qui sera parfait sur du jambon ibérique. Un rouge pourrait être trop puissant, il casserait les notes de noisette de ce jambon, il ferait trop ressortir son acidité. Mais il ira très bien aussi sur une sole meunière, ou une viande blanche, ou même du veau. Un vin très équilibré, pour lequel le duo fraicheur / volume fonctionne très bien ». Une bouteille à 10,90 €.
« Pour ceux qui aiment les vins riches avec un équilibre très pointu »
Pour finir, Jess redescend vers la mer, à Saint-Laurent-de-la-Salanque. Pour le Domaine Singla, et sa cuvée Passe temps (en Côtes du Roussillon Villages), « il faut communiquer » explique-t-il. Si la renommée de certains terroirs du Roussillon n’est plus à faire, d’autres nécessitent encore un effort de communication. Notamment pour ce terroir de Saint-Laurent, assez peu viticole.
« Ce domaine familial n’a pas attendu la mode du bio, il l’est depuis longtemps » et il possède « une griffe très particulière ». « La maturité des raisins est poussée assez haut, ce qui donne des vins très gourmands. Avec, pour cette cuvée Passe Temps, des notes confites entre la violette et la griotte, un fruit généreux, avec beaucoup de volume, d’amplitude, un grain de tanin très subtil, velouté ». « On a un côté démonstratif et volumineux en bouche, et l’on finit sur un final très soyeux, très fin ».
Il s’agit là d’un assemblage Grenache-Syrah, « très bien équilibré, avec une très belle richesse aromatique. Pour ceux qui aiment les vins riches avec un équilibre très pointu ». Il est prêt à boire mais une garde de 3 à 4 ans peut être envisagée sans problème. Une bouteille à 12€.
A propos de garde, Jess reconnaît qu’en Roussillon, les vignerons, dans leur grande majorité, recherchent une « buvabilité assez immédiate. L’habitude n’est pas aux vins de garde, mais il y a des exceptions. Attention tout de même, tous les terroirs ne se prêtent pas à l’élaboration de grands vins de garde, ni tous les cépages ». La cave Vincoeur Catalans envisage de développer un rayon proposant des millésimes « anciens ». A l’image de cette cuvée Passions 2010 du Domaine de Vénus, « un vin que l’on peut boire maintenant, mais qui présente une très bonne évolution. On n’est pas sur des notes trop marquées de sous-bois, de champignon. Un très beau vin, à seulement 15 € ! ». Les 30 ha du domaine sont réparties sur les communes de Maury et Saint Paul de Fenouillet.
Voir l’histoire de Jess et Steve, ces deux cavistes passionnés (un pléonasme à bien y réfléchir, n’ayant pas encore rencontré un caviste que son métier déprime…).