Où l’on découvre que Jean-Pierre peut troquer la vente de bouteilles déjà pleines pour s’accrocher aux flancs du Canigou, à quelques pieds de Carignan, afin de remplir des bouteilles.
Faire du vin, ou comment renouveler et partager ses émotions
En 2010, Jean-Pierre ressent une profonde frustration, celle de ne pas faire du vin. Parler du vin du matin au soir c’est bien, se coltiner la réalité de son élaboration ce serait bien aussi. Comme il n’est pas homme à ruminer longtemps, il passe à l’action.
Un vigneron dont le domaine se situe à Sainte Colombe de la Commanderie (sud immédiat de Thuir, secteur des Aspres donc) lui met à disposition une parcelle de 1,3 hectare, plantée de Carignan. « Il y a quelque chose sur cette parcelle » confie Jean-Pierre, avec un air un peu amoureux…
A presque 300 mètres d’altitude, orientée plein sud, la vue donne sur les Albères, la vallée du Tech et la mer à l’horizon. Et lorsque l’on se retourne, le Canigou vous domine. Probablement amusé, du haut de ses 2 785 m, par les pratiques un brin insolites de ces vignerons du dimanche.
La vigne buissonnière
Parce que l’aventure mise sur pied – que Jean-Pierre nomme La Vigne-École – repose sur une démarche collective : il voulait que ses clients les plus motivés puissent participer à la naissance, chaque année, d’un millésime, de la taille jusqu’à la mise en bouteille. Ils sont une grosse vingtaine à répondre présents régulièrement, pour les petits travaux d’entretien – les plus gros travaux à la vigne étant assurés par le propriétaire-vigneron – puis pour les vendanges et la mise en bouteille. « Ceux qui viennent sont des gens pour qui l’acte d’achat est un acte réfléchi, qui veulent aller un peu plus loin dans l’expérience, la connaissance mais aussi la camaraderie ». Chaque moment passé à travailler sur leur parcelle et leur production se termine par un joyeux banquet.
En matière de vinification, aucune année ne ressemble à une autre, parce que Jean-Pierre déteste la routine (comme déjà dit…). Par exemple, en 2015, la vendange s’est faite en cagettes, avec un tri sévère, puis elles ont été placées dans la cuve et hop, une macération carbonique intégrale, d’une semaine. « Puis on a égrappé, remis en cuve et poursuivi par une vinification traditionnelle. Les 2 méthodes en une ! ».
« Notre vin n’est pas réussi tous les ans… Mais 2015 reste de loin le meilleur millésime ». Les quelques 3000 bouteilles sont commercialisées au Comptoir des Crus, naturellement.
J’ai dit « vignerons du dimanche », mais Jean-Pierre reconnait qu’il est « très très souvent » à la vigne, à deux pas de chez lui. « Un lever de soleil depuis cette parcelle !… Mon grand pied, suivre pendant 30 mètres une compagnie de perdreaux, qui m’accompagne lorsque j’y monte ».
Depuis 2012, le premier fiston a rejoint Jean-Pierre et enrichi l’entreprise (site marchand, système de drive). Le deuxième, en formation, fait ses armes chez un collègue caviste. L’aventure continue.
Les coups de cœur : paradoxe, élégance, droiture… et compagnie de perdreaux
Pas facile de suivre Jean-Pierre lorsqu’on lui demande ses coups de cœur du moment. Il virevolte de bouteille en bouteille, en ponctuant chacune d’un court commentaire. Voilà ce que j’ai réussi à attraper au vol.
Ce n’est plus un mystère, il aime le Carignan. Par exemple, la cuvée Crinyane 2013 de Laurent de Besombes, du domaine Singla (en bio depuis très longtemps, à Saint-Laurent-de-la-Salanque). Un Carignan quasi pur, avec une pointe de Grenache, et un élevage partiel en fût de chêne. « C’est magnifique, opulent, mais pas vulgaire, racé, délicat et en même temps sur-puissant, un vin tout en paradoxe ». Une bouteille à 18 €.
Mais il aime aussi les petits vins plaisirs, et donc cette cuvée Caracterre (2016) du Château des Hospices (Canet-en-Roussillon). Un 100% Marselan, à 7 €. « Du volume, de la couleur, de la simplicité et de l’élégance en même temps ». Un nez caractéristique du cépage, fruits rouges mûrs et confiturés, avec des notes de réglisse et d’épices.
NOTA : le Caracterre est devenu depuis cet entretien Le Nova Ona. C’est le même cépage (100 % Marselan), médaillé d’Or au Concours Général Agricole 2018.
Le Marselan est un cépage noir obtenu par croisement entre le Cabernet-Sauvignon et le Grenache. Il a été créé par génie génétique au début des années 60 par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). L’objectif était de remplacer les cépages qui donnaient de gros rendements au détriment de la qualité, comme l’Aramon, le Cinsault… en obtenant simultanément les caractères les plus avantageux du Grenache et du Cabernet-Sauvignon. Mais cette nouvelle variété s’est avérée insuffisamment productive. C’est un cépage méridional adapté aux terroirs chauds et très ensoleillés, qui donne des vins de grande qualité, ce qui est recherché aujourd’hui. Mais les surfaces plantées restent très faibles.
Et il aime aussi le Carignan en blanc. Comme cette cuvée Vieilles vignes du Mas de Lavail (7 €). « On a tout ce qu’il faut. Aromatiquement c’est pas de l’eau de Cologne, sur des petites notes florales bien distinctes, en bouche on a le gras qu’on aime, pas de bois, de la droiture… ».
Et puis bien sûr, le Carignan du Camp de la Mata, en version 2015. LE vin, celui de Sainte Colombe de la Commanderie, des levers de soleil, des perdreaux et des copains. « Le 2010 tient encore. Le 2011 est fort bon. Le 2012, il n’y en a plus. 2013, jocker… Le 2014 est encore un peu fermé. Le 2015 est en super forme, c’est le meilleur ! (la méthode des cagettes). Le 2016 : très faible récolte, on a fait un pressurage direct, pour avoir un vin de troquet, entre rouge et rosé. On le vend en bag in box. Ce glouglou, j’en bois tous les jours ! ».
Il ne vous reste plus qu’à passer au Comptoir des crus…
La cave se trouve au 67 Avenue Maréchal Leclerc. L’offre compte 80% de vins du Roussillon. Et Jean-Pierre de préciser : « Nous sommes d’assez mauvais commerçants, nous vendons que ce que l’on aime… Mais les gens nous suivent ».