Vignobles du Sud a initié une série d’entretiens consacrés aux confréries bachiques du Sud de la France. On dit aussi confréries vineuses, ce qui sonne beaucoup moins poétique, je trouve… Des entretiens pour mieux comprendre ce qui se joue derrière des apparences folkloriques un peu désuètes. Trompeuses, comme toutes les apparences. Pour ce deuxième article nous avons rencontré les deux présidents de la Compagnie de la Côte du Rhône Gardoise, l’actuel et l’ancien, qui en est également le fondateur.
La viticulture, jamais…
Au cours de sa formation, en filière agricole, Géry Delbecque n’a jamais eu l’intention de s’intéresser à la viticulture, les cultures maraîchères ou l’arboriculture ayant largement sa préférence. Aujourd’hui, il est directeur d’exploitation viticole et s’occupe de deux domaines, soit 180 ha en Côtes du Rhône gardoises… Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais.
Après avoir travaillé quelques temps dans la culture légumière, on lui propose un poste dans une exploitation viticole, à Rochefort-du-Gard. Géry Delbecque a alors 24 ans, et il ne boit pas une goutte d’alcool ! Il va donc se plonger non seulement dans la culture de la vigne – les raisins de la trentaine d’hectares dont il s’occupe sont emmenés à la cave coopérative – mais aussi dans l’apprentissage de la dégustation. Et il n’aura de cesse, durant des années, de peaufiner cet art pour devenir, notamment, dégustateur agréé des Côtes du Rhône et membre de très nombreux jurys. Le passage de ce qui était à l’origine une exigence professionnelle à une véritable passion se fait avec la dégustation d’un vin du domaine du Cabanon à Saze (Gard), vinifié par Achille Payan (qui a depuis laissé les rênes à son fils Yves). « Je ne pensais pas que l’on pouvait flasher à ce point sur un vin ! ». Une vinification en semi-macération carbonique, « qui développe des arômes plus chaleureux, plus chauds ». A partir de là, son intérêt redouble et il se spécialise même dans l’identification des défauts du vin.
Le chant enjôleur de la Compagnie
Alors qu’il est administrateur stagiaire à la Cave des 4 chemins (Laudun-l’Ardoise), des collègues lui font découvrir la Compagnie de la Côte du Rhône Gardoise, la confrérie bachique des Côtes du Rhône de la rive droite du fleuve. Le concept et surtout l’ambiance l’emballent immédiatement. Il retrouve là quelque chose qui lui avait fortement plu lorsqu’il pratiquait le chant chorale : dans ce cercle de femmes et d’hommes amoureux des vins, les différences sociales ne se voient pas, la convivialité est le maître mot, tout le monde se tutoie, que vous soyez chef de culture, médecin ou fonctionnaire. Il demande aussitôt à renter dans la confrérie. Et comme il ne fait jamais les choses à moitié, il va s’y impliquer à fond. Cinq ans plus tard, il en est le président. Et cela dure depuis dix ans.
Cette confrérie est née en 1980, et étendait initialement son action sur trois villages : Chusclan, Laudun et Saint-Gervais, auxquels s’est rajouté par la suite celui de Signargues. Géry Delbecque observe qu’il y a eu un engouement fort pour la création de confréries en France dans les années 70-80, initialement dans le domaine viticole, puis dans le domaine gastronomique ; un mouvement de fond à connotation épicurienne. « C’était l’époque du coca-cola, du Kiravi, des fast-food… Il s’agissait d’une sorte de contre-réaction à tout ça, bien gauloise certes… ».
La confrérie a été créée par un journaliste du Midi Libre, Jacques Bonnaud, qui d’emblée à tenu à ce qu’elle n’accueille pas que des professionnels du vin mais aussi, et autant, d’œnophiles ! « C’est une véritable richesse, qui permet de rencontrer des gens que, sinon, on n’aurait pas l’occasion de rencontrer ». Et le président Delbecque tient à cette parité. « Cette diversité est nécessaire pour sortir de son microcosme professionnel, pour ne pas parler mildiou et oïdium toute la soirée ».
Et puis, la Compagnie a une autre vertu. Dans les années 80, les vignerons ne goûtent guère les vins de leurs voisins ! Et ont tendance à penser que le leur est le meilleur du monde. En réunissant la Compagnie dans un domaine viticole différent à chaque fois, bien obligé de comparer, et de se remettre en question… Mais, fait-on remarquer, les Côtes du Rhône s’étendent bien de l’autre côté du fleuve, et n’existe-t-il pas, tout là-bas, une Commanderie des Costes du Rhône ? « Le Rhône fait toujours frontière… » répond Géry Delbecque, un brin dépité. Et il existe aussi l’Échansonnerie des papes, « et beaucoup de village ont créé leur propre confrérie, qui perdurent plus ou moins ». « Dans le Gard, nous avons notre Compagnie, la Confrérie des Jaugeurs de Lirac et la Commanderie de Tavel ».
Lorsqu’une confrérie se crée, il lui faut deux parrains. Pour la Compagnie, se furent justement l’Échansonnerie des papes et la Commanderie de Tavel. Lorsque celle de Lirac vit le jour, la Compagnie de la Côte du Rhône Gardoise fut l’un de ses parrains.
Défendre la cause du vin et le promouvoir
Telle est la vocation de la Compagnie. Mais sa dynamique s’essouffle. « C’est un outil au service des vignerons, que tous les vignerons n’utilisent pas à sa juste valeur ». Ils attendent un retour sur investissement immédiat, alors que ce retour est, selon Géry Delbecque, bien réel, mais un peu décalé dans le temps. « C’est dommage car toute les confréries ont un prestige important auprès du public, notamment le public étranger ».
Et puis, « Les confréries travaillent souvent en vase clos. Elles s’invitent entre elles, c’est sympathique, mais ça ne fait pas trop avancer nos affaires. Nous ne sommes pas là pour faire la promotion auprès des autres confréries mais auprès des consommateurs, et en particuliers auprès de nouveaux consommateurs. Ma ligne de conduite, c’est que les Côtes du Rhône gardoise soient mises à l’honneur auprès d’un public le plus large et le plus divers possible ».
Parmi les manifestations de la Compagnie : un chapitre (c’est-à-dire un rassemblement de la confrérie, les membres drapés en tenue bleue et or) dédié aux jeunes amateurs des Cotes du Rhône, qui se déroule à la Chartreuse de Valborne (1er juillet 2017). La Compagnie est aussi à l’origine de l’Espace Rabelais à Bagnols-sur-Cèze (centre oenotouristique). Géry Delbecque a travaillé sur ce projet pendant 3 ans, avec l’appui d’étudiants en oenotourisme, mais le mener à son terme aurait nécessité d’embaucher un permanent. La Compagnie n’avait pas les moyens financiers. L’Espace a donc été finalisé, et est aujourd’hui géré, par la communauté d’agglomération. « Un bel outil, dont la Compagnie peut-être fier, même si le lieu et le concept actuels sont un peu éloignés du projet initial ».
Rabelais comme directeur de conscience
Jacques Bonnaud est aujourd’hui à la retraite. Il fut longtemps le chef d’agence de Midi-Libre à Bagnols-sur-Cèze. Lorsqu’en 1979 on l’informe que le Grand Prix du Midi libre (ancienne épreuve cycliste) partira de cette ville l’année suivante, et qu’il serait bien de marquer l’occasion par un évènement original, Jacques Bonnaud soumet l’idée de la création de la Compagnie de la Côte du Rhône Gardoise à plusieurs personnalités du monde viticole mais aussi à des industriels et d’autres acteurs de la vie économique locale.
Cette création lui semble une évidence et une nécessité. Passionné de Rabelais, il a passé une grande partie de sa vie à rassembler toutes sortes de documents sur l’auteur de Pantagruel et de Gargantua. Dont il a fini par faire don à la médiathèque de Bagnols-sur-Cèze. Dans l’œuvre de Rabelais, le vin occupe une place toute particulière, et sous bien des facettes. Mais la passion pour « Du bon Rabelais, qui buvait ; Toujours cependant qu’il vivait » (épitaphe signée Ronsard) ne suffit pas à justifier la création d’une confrérie bachique. Pour Jacques Bonnaud, il s’agissait aussi d’approfondir, pour mieux le célébrer, « le lien qui unit les gens d’ici à la vigne ». Il est aussi un grand admirateur du baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié (1890-1967), dont le slogan favori était « Moins de vin, mais meilleur » (voir l’article que lui consacre Jean-Robert Pitte dans le numéro de juin 2017 de la Revue du Vin de France) et qui fut à l’origine, entre autre, de la création de l’Institut national des appellations d’origine. Jacques Bonnaud recommande à qui veut bien l’entendre de relire les écrits du baron, en ces temps d’individualisme forcené et de course à l’enrichissement. « Le vin est un symbole de notre culture ».
Toujours est-il que la Compagnie de la Côte du Rhône Gardoise a largement survécu au Grand Prix du Midi libre, et que si elle se cherche une seconde jeunesse, l’esprit de Rabelais et de son disciple Bonnaud y perdure.
Lors de notre entretien, Géry Delbecque a ouvert une bouteille Château de Marjolet (Gaujac), un Côtes du Rhône blanc (Roussanne, Viognier) de 2015 qu’il affectionne tout particulièrement.