Le Vin Noir, Montpellier
Pour un nom insolite, c’est un nom insolite. Et même peut-être pas très commercial, mais le racolage facile, c’est pas son truc au maître des lieux. Sa stratégie marketing est ailleurs. Il suffit de rester 10 minutes dans sa boutique pour s’en convaincre. Les habitués du quartier défilent pour bavarder avec un type affable. Et diablement expérimenté.
Normand d’origine, Jacky s’installe à Montpellier à la fin des années 80 et fréquente le Tire Bouteille, un caviste situé boulevard de Strasbourg. Il sympathise avec Claude, le gérant, et lorsque celui-ci perd son vendeur, il lui propose aussitôt la place. Sans l’ombre d’une hésitation, voilà notre buveur de canons lancé dans le monde du vin, et le métier devient une véritable passion.
En 2005, il se lance en solo, pour pouvoir vendre ce qui lui tient à cœur, des vins naturels. On peut d’ailleurs se demander si c’est bien ce qui l’intéresse, de vendre. Plutôt découvrir et faire découvrir. Il s’installe dans un quartier un peu improbable, où une partie des habitants, d’origine maghrébine et gitane, ne sont pas tous de grands buveurs. Mais aujourd’hui il règne sur le vieux Figuerolles jusqu’à Gambetta (le quartier a perdu un caviste il y a quelques années) et Clémenceau. En plus de 20 ans de métier – il pointe parmi les plus anciens cavistes de Montpellier – Jacky est devenu un commerçant incontournable du quartier.
Il est un peu historien (peut se vanter d’avoir bu la première cuvée de Mortiès avant sa mise en bouteille !) et sociologue. Il constate que les rapports des gens du cru aux vins de la région sont compliqués. Les premiers vignerons à faire du qualitatif ont souvent été des gens de l’extérieur au Languedoc, et même de France. Ou alors des fils et filles de vigneron qui sont allez voir ce qui se faisait ailleurs avant de revenir au pays. Mais le Languedoc a aussi été une région où il était plus facile qu’ailleurs de s’installer, et d’être créatif, d’innover, comme de valoriser des cépages décriés.
Ce qui l’épate le plus, en observateur amusé des comportements : le syndrome du supermarché.
Si pour une raison ou une autre (trésorerie à l’étiage ou rupture de stocks) les étagères présentent quelques vides, le client s’inquiète ! Le vide l’angoisse ! Il lui faut de l’étalage bondé. Il faut alors le rassurer, lui expliquer que le vin nécessite de ramasser du raisin et un certain temps de vinification, ce qui explique que des références puissent manquer quelques temps… Aucun persiflage dans ces propos, juste un constat amusé, plein d’empathie. Et puis à côté d’une jeunesse un brin formatée dans sa consommation de vin, il observe une clientèle de 25 à 40 ans qui découvre le vin sans préjugé, curieuse, qui ne demande pas systématiquement du …. (biiiiiiiip).
Si au début son offre n’était pas 100% vins naturels, le choix de privilégier ces vins s’est imposé peu à peu, car notre bonhomme n’aime pas s’emmerder et vendre ce que la plupart des cavistes vendent déjà, et ce que la plupart des consommateurs demandent. Non pas qu’il s’agisse de vins de mauvaise qualité, mais il n’aime pas lorsque l’on sent trop le passage de l’œnologue, lorsque « le terroir s’efface devant le laboratoire d’œnologie ».
Choix assez culotté, qui entraîna quelques temps une chute brutale du chiffre d’affaire ! Mais choix payant sur bien d’autres registres. La boutique est devenue un lieu auquel les habitués sont attachés. Jacky connait pratiquement tous ses clients et passe du temps à discuter.
Son truc c’est de faire évoluer les comportements. Il ne demande pas que tout le monde se mette à consommer du vin naturel, et que du vin naturel. Non, ce qu’il souhaite c’est des comportements un peu plus curieux, et même aventureux.
« Ça fait parti du boulot que d’amener les gens vers des produits qu’ils ne consomment pas spontanément ».
Evangélisateur goguenard, prêcheur rusé, il sait qu’il a gagné lorsqu’un client ne demande plus « Vous avez du Domaine de machin » mais « Qu’est-ce que vous avez rentré dernièrement ? C’est quoi votre nouvelle découverte ? ».
Mais attention, il n’est pas un fanatique et reconnait bien volontiers qu’en matière de vin naturel, tout n’est pas bon à prendre. Là réside l’intérêt du caviste, amis buveurs : laissez vous guider. Peut-être n’aimerez vous pas tout, mais au moins sachez que votre caviste vous aura fait goûter des vins de qualité, élevés par des vignerons respectueux de leur environnement, de votre santé et de vos papilles.
J’oubliais, pourquoi le Vin Noir ? Ce nom fait référence à un texte du poète et nouvelliste Pierre Autin-Grenier (1950-2014) : « Le vin noir », qui accepta d’ailleurs en son temps de passer ici pour une lecture-dégustation. Dans un autre texte, cet auteur écrivait « C’est ici et fissa qu’il faut lutter, l’éternité est inutile ». Ma main à couper que cette phrase devrait plaire à notre caviste.
Prochain article : les coups de cœur de Jacky pour Vignobles du Sud.
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