Ces 15 derniers jours, trois manifestations m’ont franchement emballé, comme pour me faire oublier de n’avoir pu participer à la Circulade Vigneronne en Terrasses du Larzac le 1er juillet (si vous maîtrisez la langue de Shakespeare, voir l’article de Rosemary George). Et ont enrichi ma vision des vins du Languedoc. Quoi demander de plus ? Sinon de pouvoir revenir l’année prochaine…
Les Estivales à Villeneuve les Maguelone : une très bonne idée
D’abord, les Estivales à Villeneuve les Maguelone (5 juillet, la première dans ce lieu). Excellente idée d’avoir installé cet évènement sur les bords du canal du Rhône à Sète, à la hauteur de la passerelle du Pilou qui permet l’accès à la cathédrale de Maguelone. De jour, la vue sur la presqu’île (et les vignes) est sympa mais le lieu pas franchement extra. Les bords du canal ne sont pas ici très séduisants, surtout que des travaux de curage et confortement des berges sont en cours dans les environs. Mais en soirée puis à la nuit tombante, l’endroit propose un autre visage et dégage une atmosphère particulière (avec un magnifique coucher de soleil ce soir là). Les vignerons présents et les nombreux stands pour se restaurer (grande diversité : charcuterie, très belles assiettes de tomates de différentes couleurs, coquillages…) font le reste, sans oublier un joli duo de chanteuses. Du monde, mais assez de grandes tables pour que tous trouvent à s’asseoir. Les Estivales ne renouvellent pas le concept, mais en s’installant ici, c’est tout comme.
Mes découvertes ? Le Domaine de Maguelone. Depuis le temps que je passe devant leurs vignes – balade obligée lorsque des amis viennent découvrir les environs de Montpellier –, j’ai enfin goûté leurs vins. Un faible pour deux autres domaines, pour leurs vins évidemment, mais aussi pour les couples de vignerons, jeunes et qui vous donnent envie d’acheter des vignes et de faire du vin : Terre Mégère (La Galopine, un blanc Viognier, Marsanne, Clairette et Grenache…) et Le Chai d’Emilien (Épopée, un rouge puissant mais soyeux et gourmand, peut-être pas l’idéal pour ce genre de soirée, mais pour l’avoir goûté dans d’autres circonstances, c’est un très beau vin).
Grand Saint Jean à Faugères : riche et classique
Autre lieu, autre ambiance, la fête du Grand Saint Jean à Faugères. Elle a commencé le samedi 8, avec une soirée concerts et un bar pour découvrir les vins de l’appellation (je n’y étais malheureusement pas). Puis s’est continuée le dimanche dans les rues du village, de 10h à 14h, avec la présence de 25 vignerons. Quelle meilleure introduction qu’une séance de dégustation, surtout lorsque celle-ci est animée par un excellent pédagogue ? En une heure et 4 vins (2 blancs, 2 rouges), toutes les bases sont abordées par Ludovic Bigel, sommelier et enseignant au CFA de Béziers, qui a utilisé le vocabulaire le plus simple et pourtant le plus juste qui soit. Précieux, et pas si fréquent. Fort de cette entrée en matière, je redescends les deux rues qui accueillent les vignerons et d’autres surprises.
Où j’ai croisé une heure plus tôt un interminable et coloré défilé de confréries, et de musiciens. Des qui ont à voir avec le vin, comme la Commanderie du Faugères ou les Compagnons du Picpoul de Pinet. Des qui ont à voir avec le vin et la gastronomie, comme la confrérie Croustade et Rosé de Bessan (la Croustade étant une pâtisserie traditionnelle spéciale de Bessan). Et beaucoup qui n’ont rien à voir avec le vin, comme la Confrérie des Chevaliers de l’Olivier du Languedoc-Roussillon ou la Confrérie de l’Ail Rose de Lautrec (Tarn). Les noms sont parfois moins explicites, comme la Confrérie des Chevaliers Gourmands du Gévaudan, ou pas du tout, comme la Baronnie des Caravettes, de Montpellier (là, on est dans du très ancien).
On comptait mêmes des venues d’ailleurs, comme la Confrérie du Stofé de Wavre (Belgique), le Stofé étant un fromage et une tarte faite avec le dit fromage ! Moment pittoresque. J’ai l’air de me moquer, mais pas du tout. D’ailleurs, ce blog compte déjà deux portraits de Grand Maître de confréries, et ce n’est pas fini. Quelques jours plus tard, les mêmes raisons – déguster du vin – me conduiront à découvrir une chanteuse d’origine soudanaise vivant à Brooklyn et qui revisite la musique traditionnelle de Nubie. Comme quoi, le vin nous mène là où on ne s’y attend pas.
En plus de découvrir ou redécouvrir beaucoup de domaines de Faugères (impossible de tous les nommer), ce fut aussi l’occasion d’en savoir un peu plus sur d’autres appellations. Comme l’IGP Côtes de Thongue. Qu’est-ce qui fonde la spécificité de cette IGP ai-je demandé à Jean-Michel, du Domaine de la Reynardière ? A la place des traditionnels « rendements plus faibles qu’ailleurs » ou « l’expression très forte du terroir », la réponse relève d’un autre registre, moins convenu. « Des vignerons qui ne peuvent pas être en AOC, qui ne veulent pas être en Pays d’Oc – qui ne jurent que par le monocépage – et ne veulent pas être noyés dans la production IGP Hérault. Bref, des personnalités qui veulent exprimer et assumer des partis pris singulier ». Voilà une réponse qui me plait.
Autre découverte, des vins de fleurs : ceux de Pinparasol (Frontignan), une fabrique artisanale de boissons apéritives issues des fleurs sauvages de la garrigue (arbousier, thym, romarin, sureau). C’est très fin, ça fait l’air de rien 13°, et c’est original. Autre originalité, une démonstration de distillation de Fine Faugères. Côté oenotourisme, j’ai longuement discuté avec Jean-Luc Maraval, Domaine Bois de Rose : fan de voitures radio télécommandées, il lance plusieurs initiatives pour attirer les amateurs de vin au domaine : accueil camping car, organisation de soirées dégustation, circuits VTT… Leitmotiv : faire venir, faire rester les amateurs de vin.
Et j’ai acheté le livre de Rosemary George, « The wines of Faugères ». 200 pages de cette anglaise, journaliste et Master of Wine, qui possède une résidence secondaire dans le coin et qui semble connaître tous les vignerons de l’appellation. Une grande partie du livre est d’ailleurs un Who’s Who by Village.
Les Saturnales de Saint-Saturnin-de-Lucian, en mode festif
Dernier évènement, les Saturnales de Saint-Saturnin-de-Lucian, au nord de Montpellier. Franchement festif. Organisées par l’AOC Languedoc Saint-Saturnin (4 communes : Saint-Saturnin-de-Lucian, Jonquières, Arboras et Saint-Guiraud). Dix domaines et deux caves, un verre à 3€ et l’on déguste à volonté. On rince son verre à la fontaine de la place, on discute et l’on ne voit pas le temps passer.
Roger Jeanjean, du domaine de l’Argenteille (Saint Felix de Lodez) me fait découvrir l’histoire de l’encépagement des vignobles de la vallée de l’Hérault, à l’époque où la production allait chez les Vermouthiers. Régnaient alors en maîtres le Terret, l’Ugni Blanc, la Clairette, le Piquepoul, des cépages qui, pour certains, ont bien failli disparaître. Il me fait goûter sa surprenante et confidentielle cuvée Philia, un 100% Ugni Blanc. Et je découvre un 100% Clairette blanche chez le Domaine de la Croix Chaptal (Saint-André-de-Sangonis).
Michel Foureur, propriétaire du Mas d’Estelle (Saint-Saturnin-de-Lucian), vient de la Champagne. Plein d’humour et d’humilité, il avoue « J’ai découvert que l’on ne vend pas du rouge comme du Champagne. Avec les bulles, vous ouvrez une bouteille, et dans 95% des cas, l’affaire est faite. Avec le vin, c’est un peu plus long… ». A 70 ans, il apprend tous les jours et ambitionne, avec son maître de chai, Frédéric Cherhal, de produire bientôt « un grand vin blanc » – il a planté du Vermentino et du Viognier, pour compléter les parcelles de Grenache et Roussanne – car il croit à cette couleur en Languedoc. Autre découverte en blanc, celui du Clos de l’Aven (Montpeyroux), un Viognier-Roussanne vinifié directement en barrique, « pour limiter l’acidité et n’être que sur le fruit ».
Petite parenthèse. En discutant avec un vigneron de la Cave Les Crus Faugères, j’ai eu cette réponse à ma question sur l’intérêt d’une reconnaissance en cru communal des vins du secteur, attendue pour 2020-2022, « On pourra vendre nos bouteilles à un prix plus élevé ». Voilà qui a le mérite de la franchise. Je ferme la parenthèse (momentanément sur ce sujet passionnant de la hiérarchie des appellations en Languedoc).
Ne pas croire que j’ai goûté que des blancs (il faudrait aussi citer le Mont Baudille blanc du Vignoble des 2 Terres, d’un rapport qualité-prix du tonnerre). J’ai découvert ou redécouvert des rouges, comme la sublime cuvée Oppidum 2014 du Domaine Villa Dondona (Montpeyroux), ou ceux du Château de Malavieille (Mérifons), du Domaine de la Parro (Saint Jean de la Blaquière) ou encore du Domaine Virgile Joly. Le vigneron de ce domaine est d’ailleurs toute la soirée au four et au moulin, à l’accueil lorsque j’arrive, expliquant fièrement la nouveauté de cette 11ème édition : des Méhari pour transporter les bouteilles achetées jusqu’au parking situé à l’entrée du village. Ici, on pense à tout, mêmes aux enfants qui ont leur espace animation et spectacle.
J’ai aussi découvert une publication, le magazine Val d’Hérault Mag, qui parle d’histoire, d’actualité, de gastronomie et de culture avec des contributions d’auteurs bénévoles. C’est l’un d’eux, Denis Ferrier qui, un verre de rouge à la main, me présente le 3e numéro. Il signe un article consacré à Saint-Saturnin-de-Lucian, où il est question d’« œnotourisme et randonnée ».
L’une des originalités, et richesses, des Saturnales, c’est de clore le formidable festival Les Nuits Couleurs (Nova Aime), qui s’est déroulé du 28 juin au 12 juillet dans les communes du coin (Aniane, Gignac, Montarnaud, Le Pouget, Saint-Pargoire…). Ce soir là, Alsarah & The Nubatones, groupe de « pop nubienne » emmené par la chanteuse d’origine soudanaise Alsarah. Très belle découverte. Et avant ce concert dépaysant, l’animation musicale était assurée par le DJ Guila Selecta, excellent (du point de vue de mes oreilles délicates : savant mélange de soul, funk, et autre musiques afro-latines, pas du house électro assommant…).
Belle démonstration de la richesse et de la diversité de ces manifestations oenofestives qui ponctuent l’été en Languedoc-Rousillon, non ?