Aujourd’hui, nous voilà à Thuir, au cœur d’un très beau terroir viticole du Roussillon : Les Aspres. Chez une caviste, Élodie, qui a créé avec son compagnon il y a 4 ans « Côté Cave ».
Le lieu est vaste, lumineux et ce qui frappe, ce sont les meubles en bois – tabourets, tables, comptoir, rayonnages –, de belle facture. Lorsqu’ils sont rentrés dans ce local tout neuf, le menuisier de Thuir sollicité pour réaliser ce mobilier a utilisé le bois d’anciennes cuves des caves Byrrh !
En bois de Byrrh
Bon, si cette anecdote ne vous épate pas, c’est que vous ignorez que Thuir possède une institution qui date de la fin du 19ème, les caves Byrrh. Qui ont inventé l’apéritif Byrrh, un « vin tonique et hygiénique au quinquina », élaboré avec des vins du Roussillon. L’entreprise existe toujours (rachetée par Pernod), les caves se visitent (dorénavant propriété de la communauté de communes des Aspres) et possèdent « la plus grande cuve en chêne du Monde ». Avoir son mobilier en cuves de Byrrh, pour un caviste, c’est le comble du raffinement, non ?
Mais Élodie n’est pas tombée dans les barriques Byrrh étant petite. Elle est originaire de la Gironde, avec des grands-parents et des arrières-grands parents vignerons. Et qui peut-être buvaient du Byrrh, ou cuisinaient au Byrrh. Ses études en agro-alimentaire lui ont fait traverser la France en tous sens, pour arriver au service marketing d’une chocolaterie de Perpignan. Où elle finit par se convaincre que ce monde de la grande distribution ne colle guère avec ses valeurs et la façon dont elle a envie de mener sa vie.
Élodie et son compagnon sont passionnés de vins, et rêvent depuis longtemps de se lancer dans l’aventure. Lui aussi, enseignant en sommellerie, possède des gènes susceptibles de prédisposer à cette activité : papa et grand-papa étaient vignerons à Limoux. Ils jettent leur dévolu à Thuir, petite ville vivante et dépourvue de caviste.
Leur parti-pris est de proposer une offre locale étoffée, mais aussi des choix hors régions, « car on aime les vins de partout, et l’on aime découvrir et faire découvrir ». Élodie fait chaque année « une route des vins » dans une région différente.
Et alors, être une femme caviste ?
Comme tout caviste qui s’installe, Élodie a rencontré beaucoup de vignerons pour construire son offre, privilégiant les petits domaines. Elle connaissait, et appréciait, déjà pas mal d’entre eux. Et alors, être une femme dans ce milieu ? « Cela n’a pas toujours été facile d’être non seulement une femme mais en plus d’être jeune. Nous ne sommes pas nombreuses sur le département. Les résistances ou les réticences se rencontraient d’ailleurs plus chez des agents commerciaux que chez des vignerons. Mais au final, je me suis imposée naturellement ».
Le bio, la biodynamie et le nature
La cave offre une jolie gamme de vins bio, biodynamie et vins nature (Clos du Rouge Gorge, Roc des Anges, Frères Danjou-Vanessy, Gardiès, Domaine des Demoiselles, Domaine des Schistes…). « La demande sur les vins nature se tasse un peu, on a atteint un palier en terme de prix : à montant équivalent, l’offre en bio ou biodynamie est large ».
Comme ses collègues cavistes, Élodie observe que les vins doux naturels sont essentiellement achetés par des touristes, quasiment pas par des locaux. « Et les gens connaissent surtout le Muscat, pas grand-chose d’autre. On essaie de faire découvrir, comme à l’occasion de la fête de la gastronomie. Et l’on constate qu’une fois que les gens ont goûté, ils achètent ».
Il y a des vins anguleux
Faire découvrir, encore et toujours. Le samedi matin, jour de marché à Thuir, Élodie invite un vigneron qui présente ses vins. « Les gens apprécient, car ils aiment la rencontre avec le vigneron, et pouvoir goûter les vins en sa présence ». Mais les clients apprécient aussi que leur caviste connaissent leurs goûts, sache les conseiller et les orienter. Ils apprécient également les séances de dégustations et découvertes que propose régulièrement Élodie. Séances tactiles me précise un client qui vient de rentrer dans la boutique : Élodie fait goûter les vins en même temps qu’elle fait toucher les roches des sols où sont plantées les vignes. « Il y a des vins anguleux, comme ce morceau de schiste, ou des vins plus ronds, plus doux » me dit-il. Preuve que les cavistes sont d’excellents pédagogues.
Les coups de cœur d’Élodie : des bijoux en monocépages
Pour ses trois coups de cœur, une évidence s’impose. Élodie a retenu trois vignerons dont elle apprécie autant les qualités humaines que les qualités de viticulteur et vinificateur. Et trois cuvées en monocépage. Grenache, Carignan et Macabeu.
Premier coup de cœur, le Roc des Anges et Marjorie Gallet (mais il y a aussi Stéphane, son mari ; note de la rédaction !), dont elle apprécie les « cuvées confidentielles » (des 100% cépages locaux), « qui font très bien ressortir les caractéristiques et les qualités du terroir et des cépages. Des vins très élégants, très frais ». Élodie a retenu la cuvée « Unic », un 100% Grenache noir, à 19 €. « A l’aveugle, ce vin ne ressemble pas à un Côte du Roussillon, mais à un petit Morgon ! ». « Des vins comme ça, ça m’éclate ! Avec eux, on sort des sentiers battus ; et on casse l’image qui traîne encore des Côtes du Roussillon lourds, charpentés ».
Le chai se situe aujourd’hui à Latour-de-France et les vignes sont dispersées un peu autour (Maury, Montner), dans le Fenouillèdes donc.
Le domaine travaille en biodynamie. Je vous recommande vivement la lecture du texte que l’on trouve en intro du site du domaine. C’est court, joliment écrit, emprunt de sérénité et d’une certitude sans esbroufe sur le sens qu’il faut donner à une vie de vigneron. Extrait : « J’ai travaillé un temps chez Gérard Gauby. Avec lui, j’ai acquis non pas une technique mais une manière de penser le vin ».
Second coup de cœur, le Domaine de la Meunerie, avec la cuvée « Carignan » 2016 (14€). « Des notes de fruits à noyau, de cerises ; ça reste sur le fruit, tout en ayant une jolie structure. Cette cuvée se boit maintenant. Et sans effort ». Élodie apprécie autant les vins que le vigneron, Stéphane Battle (ça se prononce baille), qui cultive en « raisonné et qui est très rigoureux à la vigne ».
Le domaine est situé à Trouillas, dans les Aspres donc. Stéphane Battle possède 17 hectares de vignes et depuis 2014 il a décidé d’en vinifier lui-même une partie. Si ce vigneron possède sur sa propriété quasiment toute la palette des cépages traditionnels d’ici, il aime planter d’autres cépages, « pour voir ce que cela peut donner ». Parce que faire du vin est aussi une activité « ludique », à laquelle « il faut prendre plaisir ». Tout en prenant soin de l’environnement et de la qualité de ses produits.
Petit clin d’œil : Jess, de Vincœur Catalan, avait choisi l’été dernier la cuvée Impromptu du Domaine de la Meunerie (voire l’article).
Pour le dernier coup de cœur d’Élodie, on rejoint la vallée de l’Agly et celle de Maury. Le domaine de Serre Romani – les vignes sont sur Espira de l’Agly, proche de Rivesaltes, et sur Maury – propose la cuvée « Macabeu » (2016), « un rapport qualité-prix au top (7,50 €) pour un blanc d’une très belle vivacité. On se régale ». Je crois vous avoir déjà signalé mon faible appuyé pour les blancs du Roussillon. A ce prix là, j’en bois tous les jours. Et en plus, tous les vins du Domaine de Serre Romani sont à prix très doux…