Vignobles du sud

À la découverte des vignobles du sud de la France

DU ROUGE AU NOIR. POLARS & VINS. Mars 2017

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Retour sur l’élaboration de deux millésimes remarqués d’un cru remarquable

VIGNOBLES DU SUD DU ROUGE AU NOIR LIBRAIRIE AB LUNEL 1Il est neuf heures du matin. Un arbre trône sur la toute petite place, aux branches desquelles une jeune femme suspend des livres-oiseaux. Puis elle disparait dans sa librairie. Nous sommes à Lunel, il fait beau, un peu frais et je lui emboite le pas.

La librairie AB est l’épicentre d’un évènement très particulier qui s’est déroulé quelques semaines plus tôt (mars 2017). L’épicentre ou le poste de commandement. Delphine Cambet en est l’instigatrice, l’inspiratrice, l’ordonnatrice, la chef d’orchestre, la mouche du coche. Elle est aussi et avant tout libraire. Passionnée, avec ce don rare de savoir entraîner à sa suite beaucoup de gens dans un projet, aussi titanesque soit-il.

L’évènement ? Un salon atypique, étiqueté « Du rouge au noir ». Atypique, mais pas tout à fait le premier du genre. L’idée, me raconte-t-elle, lui a été soufflée par une auteure de romans noirs, Maud Mayeras, qui vit à Limoges. Où existe depuis 2012 « Vins noirs. Rencontre polar et vin », un salon où « l’assemblage » vins et livres donne un produit des plus aimables. A peine l’idée inoculée, Delphine contacte les libraires à l’origine de cette manifestation (aujourd’hui l’association « Les Picrates » !), qui acceptent bien volontiers de se voir plagier. Et même qui vont l’adouber et l’épauler.

Cette idée de mélanger vin et littérature a une filiation. Delphine organise depuis longtemps des rencontres d’auteurs dans sa librairie. Et elle participe, avec l’association des commerçants, à l’organisation de fêtes des vignobles, où des vignerons sont invités à faire déguster leurs vins. Le rapprochement des deux est donc assez naturel. Mais avec Du rouge au noir, l’affaire prend une autre dimension ! Cette fois, il s’agit de voir grand. Il faut trouver le bon dosage, l’alchimie qui va permettre la dégustation de deux produits hautement culturels et la rencontre de leurs géniteurs. Et tout ça pendant un weekend entier.

En 2016, les 12 vignerons invités sont ceux qui venaient déjà sur les marchés vignerons. Delphine ne leur cache pas que « On ne sait pas où l’on va », ce qui, visiblement, n’a découragé aucun d’entre eux, bien au contraire.

L’idée, et la conviction, de Delphine, mais aussi de la bande d’amis inconditionnels qui l’entourent, est qu’il existe entre les faiseurs de vins et les raconteurs d’histoire des liens, des parentés, des cousinages, des proximités, des traits communs. Qu’il s’agit de révéler.

VIGNOBLES DU SUD DU ROUGE AU NOIR LIBRAIRIE AB LUNELAvec Du rouge au noir, Delphine et sa bande font un double pari. Le premier : celui de croiser les publics. D’abord celui des lecteurs et celui des amateurs de la dive bouteille. Mais aussi, en s’associant avec l’association « Pêcheur d’images » qui organise le festival de cinéma de Lunel et en proposant une conférence cinéma, le salon a attiré un public de cinéphiles. Plus largement, il a attiré des gens curieux, prêts à se déplacer lorsqu’on leur offre des choses originales et de qualité. Et le public n’était pas seulement lunellois et environs, mais venait de Nîmes, Montpellier ou même Millau !

L’autre pari est de rapprocher au cours de ce weekend auteurs et vignerons. Physiquement d’abord : dans une grande salle, les petites tables où s’empilent les livres des auteurs alternent avec les barriques où trônent les bouteilles des vignerons. Mais pas seulement. Le rapprochement doit être aussi amical et intellectuel, dans le sens de mieux se découvrir, et mieux se comprendre.

Qui vient pour les bouquins repart avec du vin. Et vice versa

Le premier pari est largement gagné, dès 2016. Delphine ne compte plus les visiteurs qui lui avouent être venus qui pour les livres, qui pour les vins, et être repartis qui avec une caisse de quilles, qui avec une pile de polars. « Mon mari m’a accompagné à cause des vignerons présents. Et aujourd’hui, il lit des polars ! ». Quelle plus belle récompense que d’entendre des confidences pareilles ? Le second pari est également gagné, et, de l’avis de tous, plus encore cette année. Les clés de cette réussite ?

Pour le millésime 2017, Delphine et ses complices ont eu l’idée d’organiser une « causerie », étiquetée « Écrivains et Vignerons, le nom sur l’étiquette », animée par Grégory Nicolas, écrivain et un temps caviste. L’objectif ? Mettre en avant les vignerons, ne pas les cantonner à une classique découverte de leurs vins par la dégustation, provoquer un échange avec les auteurs. Et cela a superbement fonctionné.

Comme l’a expliqué l’écrivain Hervé Le Corre, mettre son nom sur la couverture d’un livre, c’est faire une promesse au lecteur, c’est une forme d’engagement. Réflexion qui fait écho à la démarche du vigneron, et tout particulièrement pour ceux qui ont fait le choix de quitter la cave coopérative – donc l’anonymat – pour devenir vigneron indépendant. Leur nom sur l’étiquette est aussi une promesse. Auteurs et vignerons de cette table ronde, en parlant de leur métier (Le Corre, bordelais, avec des termes emprunté au monde de la vigne), ont révélé nombre de points communs : le travail solitaire, la constance du labeur, des revenus modestes.

Julien Ribes, un vigneron invité (Domaine de l’Abreuvoir) et participant de cette table ronde, ne cache pas qu’il n’en menait pas large avant de commencer. Et puis la magie a opéré et il ne fut pas le dernier à exprimer gaillardement ses points de vue. Beaucoup de parallèles l’on surpris et amusé : entre les metteurs en bouteille et les éditeurs, les producteurs de verre et les fabricants de papier, le travail de création littéraire et la réflexion sur le travail de la vigne en fonction du vin que l’on souhaite faire, les techniques d’écriture et celles de vinification… Et aujourd’hui, Julien n’a qu’une envie : participer à des salons aussi originaux, où l’on ne rencontre pas que des amateurs et des professionnels du vin, pour une vraie ouverture d’esprit.

Un autre temps fort du salon a été la joute des traducteurs, idée empruntée à Quais du polar (Festival du polar de Lyon). Le principe consiste à confier à deux traducteurs, en l’occurrence Jacques Mailhos et Pierre Bondil, le même extrait d’un roman qu’ils doivent préalablement traduire puis, le jour du salon, les deux duettistes doivent expliquer et défendre leur travail. Joute animée par Yan Lespoux, et suivie par plus de 50 personnes, ravies de découvrir cette facette, essentielle, de la littérature étrangère.

Yan Lespoux, grand dévoreur de polar devant l’éternel et maître de conférence en civilisation occitane, fait partie de l’aventure dès 2015 (un salon comme celui-ci se prépare un an à l’avance), arrivé là par la filière « Delphine a un client, devenu un ami, qui a un ami qui a un ami… ».

Yan, qui aime le vin, était déjà convaincu que la personnalité de beaucoup d’auteurs de polar, comme leur métier, font un peu écho à celles des vignerons, et à leur boulot. Auteurs et vignerons ne sont pas des gens suffisants. Ils prennent leur travail à cœur mais avec une certaine modestie, ils aiment leur ouvrage, pas forcément jouer les stars. Plusieurs vignerons ont avoué, a posteriori, être venus avec un peu d’appréhension, car n’étant pas de grands lecteurs et craignant un milieu un peu guindé. Craintes rapidement balayées par l’ambiance décontractée, la convivialité et la simplicité des uns et des autres. Laissez faire les levures indigènes et la fermentation sympathique se fait toute seule. Dès le vendredi soir, quelques verres pris ensemble et c’est parti pour des échanges passionnés sur l’écriture, la vinification, l’édition, la distribution…

En bouquins, ça fait combien la bouteille ?

Image symbolique de ce lien tissé entre écrivains et vignerons : des auteurs achetant leurs propres livres pour les offrir à des vignerons en échange de bouteilles ! Invention du troc oeno-littéraire…

Et il aurait fallu vous parler de la lecture musicale d’un roman, des siestes noires et d’autres tables rondes… Il vous reste à ne pas manquer la prochaine cuvée, pardon, la prochaine édition. Et si vous ne savez pas où acheter des bouquins, la librairie AB est située à deux pas du caviste Ô Pêcheur Devin

VIGNOBLES DU SUD DU ROUGE AU NOIR LIBRAIRIE AB LUNELUn grand merci à Delphine Eledjam-Cambet (librairie AB à Lunel, incomparable meneuse de salon…), à Yan Lespoux (son formidable blog consacré au roman noir et au polar), à Grégory Nicolas (auteur notamment de « La part de l’orage », petites histoires autour des cépages) et Julien Ribes (du Domaine de l’Abreuvoir et dont les bouteilles sont encore des perles rares…).

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