Ô Pêcheur Devin, Lunel (Hérault)
Le mot Pescalune désigne les habitants natifs de Lunel. En occitan, il signifie pêcheur de lune (on dit aussi pesca-luno). Car une légende raconte que les étrangers (à Lunel) étaient persuadés que les habitants du coin tentaient de pêcher la lune avec une nasse. En réalité (?), des voyageurs avaient vu, de nuit, des pêcheurs d’anguilles qui utilisaient des paniers pour capturer ces poissons, que l’on n’attrape que lors des nuits les plus sombres.
Lui n’est ni Pescalune, ni pêcheur d’anguilles mais pêcheur de quilles, et fort jolies. Lui, c’est Benoît Chevalier, caviste à Lunel et son port d’attache s’appelle Ô Pêcheur Devin.
Né en rive gauche du Rhône, à Orange, il franchit le fleuve pour Nîmes en 1991. Car il vient de signer son premier contrat de joueur professionnel de handball. Puis il jouera à Toulouse, à Montpellier et terminera cette première vie à nouveau à Nîmes en 2009. Si la famille n’a aucun lien avec le vin, les repas entre amis y sont fréquents, et bien arrosés. Et notre féru de hand conjugue très tôt ballon et ballons. Il visite les caves et sillonne les vignobles de Visan, Gigondas, Vacqueyras, Cairanne puis Rasteau, Châteauneuf… Même joueur professionnel demande-t-on ? Sa réponse fuse, franche et sans détour : « Lors des déplacements, on ne la jouait pas jambon-beurre. Plutôt caillettes, saucisson, andouillette… Attention, avec l’aval des entraîneurs ! ». C’est lui qui avait en charge la partie liquide. Et il ne s’agissait pas de choisir de la piquette pour cette bande de joyeux gourmets.
Pendant cette vie de sportif, Benoît a toujours gardé en tête qu’il faudrait tôt ou tard se reconvertir. En 2003, un copain, ancien joueur, ouvre une cave à Nîmes. Benoît demande à y faire des gammes, pendant son temps libre, histoire de voir. Deux ans durant, il observe, apprend, se forme, se documente à la médiathèque d’à côté. Et se convainc que c’est bien ça qu’il a envie de faire, dans sa vie d’après. Parler du vin, rencontrer du monde et conseiller, voilà l’autre vocation.
2010, seconde vie. Sa femme est lunelloise, pardon, pescalune. Un seul caviste sévit dans cette ville de 25.000 habitants. Ce sera donc logiquement Lunel. Il trouve un local, traversant, entre la place des Caladons et la Place des Martyrs de la Résistance, tout près des Halles. Petit clin d’œil de l’histoire, ses beaux-parents ont tenu un commerce sur cette place des Caladons, place historique dans le cœur des Lunellois mais plutôt assoupie. Lui va batailler, avec les commerçants du coin, pour lui redonner de la vie.
Au départ, Benoît souhaite faire découvrir ce qu’il connaît le mieux et qu’il apprécie, les vins de la vallée du Rhône, où il connait des tas de petits domaines, au rapport qualité-prix imbattable et que l’on ne trouve pas systématiquement chez tous les cavistes. Mais il réalise rapidement que les consommateurs aiment avant tout consommer les vins de leur région. C’est valable ici et partout ailleurs. Il comprend qu’il lui faut gagner en crédibilité, en force de persuasion, pour faire sortir ses clients de leurs sentiers battus. Qu’à cela ne tienne, les références du Languedoc deviennent l’essentiel de son fonds. Mais avec la même philosophie. Ici, on ne vend pas de l’étiquette, mais des vignerons que Benoît connait, avec qui il a souvent sympathisé . Il connaît toute leur gamme, leur travail à la vigne, leur mode de vinification.
Combien de références ? Cette question ne le surprend plus, mais le fait toujours rigoler. Il n’en sait rien et il s’en fiche. Sa règle ? L’année a quatre saisons et tous les vins ne s’accommodent pas d’être bus n’importe quand. Il fait donc tourner ses références en fonction des périodes de l’année. Les clients apprécient et découvrent régulièrement de nouvelles étiquettes. Ce qui n’empêche pas notre caviste de rester fidèle à ses vignerons préférés.
Et le bio ? Pas une question majeure. Pour lui, les grands vignerons d’ici le sont depuis des années et ne l’écrivent pas sur leurs bouteilles. Et il sait et apprécie comment travaillent tous les vignerons qui trônent sur ses étagères; les clients peuvent lui faire confiance sur la qualité de ce qu’il y a dedans. Et il n’observe pas vraiment chez eux une obsession pour le bio.
« C’est pour accompagner quoi ? »
Lorsque le client a franchi le seuil de la boutique, son travail de caviste commence avec une question, capitale : c’est pour accompagner quoi ? Plus la réponse est inattendue, plus le défi lui plaît. Il aime ce jeu, et dit se tromper rarement. « Les gens viennent aussi pour ça ». Il faut dire que dans le domaine des accords mets-vins, il pratique un entraînement intensif et plutôt original. Avec une bande de copains, il a créé un petit groupe d’oeno-gastronomes, les « Espigouliens » (clin d’œil à une comédie déjantée qui date de 1997, « les 4 saisons d’Espigoule »). Le principe consiste à se retrouver régulièrement pour des repas à thèmes (le même sur toute l’année). Lui s’occupe évidemment du vin, pioche dans ses références et peut ainsi revendiquer d’avoir testé tous ses vins sur une très large palette de plats et de saveurs, des plus classiques aux plus incongrus.
Si les plats des copains peuvent être – très rarement – pas terribles, Benoît est catégorique : « Ça fait très longtemps que l’on n’a pas bu de mauvais vins. Bien sûr, on boit parfois des choses qui ne nous plaisent pas, mais franchement, on ne peut pas dire que les vins ne sont pas bons. Aujourd’hui, la plupart des vignerons font vraiment des vins de qualité ».
Benoît, à juste titre, n’est pas peu fier d’avoir creusé un nouveau sillon, sur cette place des Caladons, dans cette boutique aux multiples animations (un ostréiculteur deux fois par mois, les dimanches matins, des soirées dégustation, le beaujolais nouveau avec son voisin le boucher, le festival off de jazz de Lunel…). Finalement, je crois bien qu’il n’est pas loin d’être un vrai Pescalune.
A découvrir très bientôt ses coups de cœur.