Vignobles du sud

À la découverte des vignobles du sud de la France

A la rencontre des cépages modestes et oubliés

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Vignobles du Sud cépages modestes oubliés DeyrieuxIl arrive, paraît-il, que des critiques littéraires écrivent leurs articles sans avoir lu les livres dont ils parlent. Je ne suis pas critique littéraire, mais je vais vous parler d’un livre que je n’ai pas – encore – lu. Mieux, je vais même vous le recommander ! Ce qui m’autorise une telle prétention ? J’ai assisté à la présentation de ce livre par son chef d’orchestre – il est écrit à plusieurs mains –, André Deyrieux.

Ce livre raconte des aventures de vignerons. Ou plutôt des histoires de vignerons partis à l’aventure. A la découverte, sur leur domaine, de cépages « oubliés » et des vins que l’on peut élaborer avec eux. Des histoires qui s’étalent parfois sur plusieurs décennies, qui sont de véritables enquêtes menées avec ténacité, longtemps dans l’indifférence générale.

Ce livre a une longue histoire. Elle commence avec l’organisation, par une poignée de mordus, de la première rencontre des cépages modestes ; l’adjectif modeste est un clin d’œil au musée des arts modestes de Sète, pour ceux qui connaissent.  La publication des actes de cette rencontre convainc une éditrice de la maison Dunod qu’un livre serait fort opportun. Elle attendra, patiente, de longues années avant que les animateurs de l’association des Rencontres des Cépages Modestes se lancent dans son écriture

C’est ce livre qu’André Deyrieux, président de l’association, est venu présenter à la Maison du Languedoc. Il compare les vignerons amoureux de ces vieux cépages à des Indiana Jones. Car au départ, il faut aller consulter de vieux grimoires qui parlent d’ampélographie, la science des cépages. Comme Indiana Jones, il faut fouiller les bibliothèques à la recherche de ce que les érudits du passé en savaient. Mais la recherche se fait aussi sur le terrain. Dans les parcelles bien sûr. Dans le Gers, une parcelle riche de ces cépages « de sauvegarde » a même été classée monument historique ! Mais ce n’est pas uniquement là que se font les découvertes les plus inattendues. On trouve ces vieux cépages dans des endroits où les hommes les ont laissés en paix pendant des décennies, si ce n’est des siècles, comme des murs ou dans des pergolas.

André Deyrieux insiste, « avant de parler de la qualité des vins issus de ces cépages, c’est leur personnalité qu’il faut évoquer ». Car ils ont une histoire. Replanter un cépage oublié, c’est renouer avec l’histoire du lieu, souvent très ancienne, c’est recréer des liens avec le territoire. Et les vignerons qui se sont lancés dans cette aventure en tirent une grande fierté, celle d’aller à la recherche de leurs racines. Et ces aventures, on ne les trouve pas seulement dans nos grandes régions viticoles d’aujourd’hui, mais aussi, par exemple, en Isère ou dans la vallée du Gier (entre Saint-Étienne et la Vallée du Rhône). Car à une époque, pas un département, pas une grande cité et ses environs sans vignoble. Et depuis la sortie de ce livre, des vignerons se manifestent pour signaler que, eux aussi, détiennent quelques pieds de cépages dont on avait depuis longtemps perdu trace.

Le soir de cette conférence, trois vignerons ont témoigné de leurs relations avec ces vieux cépages, dont deux sont les héros, parmi bien d’autres, de cet ouvrage. Le vigneron François Henry, de Saint-Georges d’Orques, a les qualités d’un conteur. Il confirme les propos d’André Deyrieux : le trait commun de tous les vignerons dont il est question dans ce livre, c’est la curiosité, une curiosité d’explorateur, de détective, d’enquêteur. Cela fait bien 30 ans que lui et son épouse ont décidé de percer les secrets des vins de Saint-Georges d’Orques. Je veux dire, ceux des siècles passés. Depuis qu’ils ont appris qu’au 18ème siècle les vins de Saint-Georges d’Orques étaient aussi réputés que les plus réputés de l’époque (Fronsac, Meursault…), ils n’ont de cesse de comprendre pourquoi. Ils sont allés jusqu’à se procurer la copie des carnets de voyage de Thomas Jefferson. Celui-ci, ambassadeur des Etats-Unis en France (1785-1789) et futur président, a fait un tour de France des provinces viticoles, en prétendant s’intéresser à toutes les pratiques agricoles susceptibles d’être exportées aux Etats-Unis ; mais d’après François Henry, c’est bien les vignobles qui l’ont surtout intéressés. Dans ses notes, il mentionne les vins de Saint-Georges d’Orques et le muscat de Frontignan. Des premiers, il en fera les vins officiels de la Maison Blanche et, à titre personnel, ses vins préférés.

Bon, et ce secret des vins de Saint-Georges d’Orques ? La complantation crénom ! Onze cépages sur une même parcelle, pas de casse tête lors de l’assemblage, on vinifie tout d’un coup. Et il semblerait même que cette promiscuité soit favorable à la bonne tenue de la vigne. Les treize cépages de l’AOC Châteauneuf-du-Pape seraient une survivance de cette façon de cultiver la vigne. Quoiqu’il en soit, il est clair que la viticulture depuis un siècle a perdu un patrimoine génétique phénoménal en privilégiant une poignée de cépages par rapport à  l’infinité (10.000 ?) que nous a offert Dame Nature. « En deux générations, le Languedoc-Roussillon a rayé huit siècles d’histoire ! » se désole François Henry. Et de nous débiter à toute allure le nom des onze cépages oubliés de l’une de ses parcelles, façon rap ! Mais qu’à cela ne tienne, la croisade des cépages modestes est là, accompagnant ce qui pourrait bien être un lent mouvement de fond, la reconquête d’un héritage perdu. En terme un peu savant, ça s’appelle la biodiversité.

A la fin de la conférence, les trois vignerons nous ont fait découvrir leurs cuvées bien modernes mais à base de ces vieux cépages : le Domaine Henry en dénomination Languedoc-Saint Georges d’Orques (les œillades grises et noire, l’aspiran noir et gris…), le Mas Saint Laurent AOC Languedoc (cépage terret), le Domaine La Grangette en AOC Picpoul de Pinet (cépage picpoul).

La conférence d’A. Deyrieux s’est déroulée le 6 avril 2017dans le cadre des conférences littéraires organisées par la Maison des Vins du Languedoc (Mas de Saporta).

Les « Rencontres des cépages modestes » tiendront leur 7e édition en novembre 2017, à Saint-Côme-d’Olt (Aveyron).

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